Le Mistral: ange ou démon ?

- Le Mistral, réalité géographique.

---« Bastide au Mistral» d'Antoine Ferrari, (collection de l'auteur)

Le Mistral (du latin : magistralis = maître) est le plus célèbre des vents qui soufflent en Provence. Résultant d'une arrivée d'air d'origine polaire et passant sur les hauteurs enneigées du Massif Central, il est dévié par les Alpes sur l'ensemble de la Provence. Sa présence marque la vie et les esprits sous le signe de la dualité :

° source de pureté, il donne à la Haute Provence un ciel d'un bleu intense et une luminosité exceptionnelle.

° source de tracas, il oblige l'homme à se plier au commandement de la nature et à se protéger, tout comme son habitat et ses ressources. Les fermes vont tourner le dos au Nord et réduire leurs ouvertures ; les toitures seront peu inclinées pour garder leurs tuiles ; les cultures sont entourées de cannes, de cyprès et de murailles de pierres sèches.

Si le mont Ventoux est étymologiquement un mont venté, en Haute Provence, son prolongement oriental, la montagne de Lure, à 1826 mètres d'altitude, est aussi le royaume des vents.

Mais le Mistral va être bien plus qu'une composante climatique, il va s'insinuer dans les esprits.

- Le Mistral, source de poésie.

En Grèce, le dieu Pan est le dieu de la nature. Il est donc dans tous les éléments qui constituent notre monde. Cette attitude d'esprit panthéiste qui tend à diviniser la nature a inspiré les plus grands écrivains du Sud. L'espace, les arbres, le soleil les conduisent vers une vision mythique renouvelée d'un paganisme millénaire. Dans cette inter pénétration avec la nature du monde méditerranéen le vent joue un rôle essentiel. Pourquoi ? C'est que le Mistral apporte des métamorphoses : il balaie le ciel, tord les végétaux, assèche le sol. Mais aussi, il capte par tous ces changements les sens de l'être vivant :

° aussi bien les sens des animaux (les chevaux de Camargue deviennent nerveux à l'approche du Mistral qui distrait leur perception sensorielle).

° mais aussi l'inspiration du poète.

- C'est Paul Valery, le méditerranéen, qui écrit : « Le vent se lève, il faut tenter de vivre ».
- C'est Jean Giono, à propos de la trilogie de Pan qui indique : « J'ai trouvé ma voie…ressusciter Pan…extraire l'amour et la substance spirituelle de tout ce qui vit, les nuages, la plaine, le vent, le ciel étoilé… » mais aussi :

«Le vent n'a pas besoin de souffler. Même par les journées fort calmes, il est présent dans ces troncs qui ont été comme essorés par une poigne de fer et qui ne peuvent plus se détortiller ». (in Arcadie, Arcadie)

De fait, dans toute son œuvre, Giono va décrire le vent d'une manière unique depuis les hauts plateaux soumis à son souffle de toujours jusqu'au rapport à la sensualité intime de Julia. (in le grand troupeau)

- C'est Joseph d'Arbaud qui ressuscite Pan au travers de la bête du Vaccarès.

  ---illustration de Jean Cubaud.

Cet homme mi-homme, mi-chèvre s'écrie : « Cette terre désolée me dispense son souffle sauvage sans lequel je ne pourrai vivre ».

- C'est René Char qui lance : « « je t'aime », répète le vent à tout ce qu'il fait vivre ». (in Moulin de Calavon)

Bien d'autres, de Camus à Nietzsche, chanteront le Mistral pour sa présence stimulante.

Qui plus est le Mistral est un vent turbulent, soumis à des rafales, c'est-à-dire, à des accélérations de son souffle. Cette instabilité renforce son caractère de changement et de source d'inspiration. La poésie est dans bien des cas le langage des sens et des sentiments.

Le Mistral agit comme un catalyseur dont le souffle maintient un lien quasi charnel de communion avec la nature. Après le climat géographique, il contribue à créer un climat poétique.

Bibliographie : « Petite anthologie du Mistral » Equinox, 2004.

Robert Sausse

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