Saint Donat :

C'est vers l'an 973, après des siècles d'insécurité, de décadence économique et intellectuelle (et grâce à l'expulsion des Sarrazins par le comte de Provence, Guillaume) que va se manifester un renouveau de l'Eglise. Il va y avoir une véritable recrudescence de la vie monastique et les grands ordres vont rayonner dans les terres de Haute Provence. Mais bien avant cette renaissance et le rôle primordial du monachisme, il existait dans les Alpes du Sud une vie religieuse beaucoup plus discrète. Il s'agit souvent d'une figure singulière, d'un ermite qui, par sa vie, et son exemple va contribuer à créer un lieu de prière et de diffusion de la foi.

I – Saint Donat choisit Lure

Par définition un ermite est une personne qui fait le choix de la solitude et du recueillement. Cet isolement volontaire, cette vie de méditation et de prière lui permet toute une vie spirituelle qui le rapproche de Dieu. Le Christ, lui-même, s'est retiré plusieurs fois dans le désert pour prier. En Haute Provence, la montagne de Lure s'étend sur 42 kms, d'Est en Ouest, et apparait avec ses milliers d'hectares comme une zone de paix et de silence. C'est donc ici, en bordure de Durance, sur les premières rampes de la montagne que va s'installer Donat pour vivre sa vie érémitique.

La première impression, en quittant Peyruis, est d'immédiatement se trouver dans la sauvagerie et l'isolement. Sur une butte collinaire émergeant d'une végétation de chênes, apparait, aujourd'hui, une église confinée dans ce site solitaire. C'est une église romane qui élève toute sa masse cubique. Elle présente une certaine austérité de ligne, de volume et de construction. Cette église de pèlerinage, datant des XI ème ou XII ème siècle a été construite sur un site sanctifié par la présence de notre anachorète Donat au début du VI ème siècle. Mais qui était-il ?

2 – La vie de l'ermite

C'est la littérature qui va nous fournir des renseignements. Il existe, en effet, une VITA SANCTI DONATI qui nous parle de ce pieux personnage.'C'est l'archéologue J. Thirion qui en a révélé toute l'importance.

Il s'agit donc d'un prêtre originaire d'Orléans qui vivait au début du VI ème siècle. Il choisit de se retirer au pays de Sisteron (in pago Sisterico), au pied de la montagne de Lure (mons Lura) pour vivre sa vie d'anachorète. Le récit devient, alors, fantastique avec la présence de dragons, de démons et de serpents qui peuplent ce vallon et qu'il va combattre, perpétuant la lutte du Bien contre le Mal. Il aurait, par exemple, forcé un démon à aplanir la route primitive (un symbole de la via Domitia ? ). D'ailleurs, une statue de l'église de saint Donat sur l'Herbasse le représente les bras chargés de l'étole de l'exorciste, domptant un dragon tenu en laisse. C'est surement une de ses missions solitaires d'évangélisation des Alpes du Sud. Par contre, loin de ce fantastique, la description des lieux devient très réaliste et correspond d'une manière troublante au site visité. En fait, l'ermite aurait connu deux lieux de retraite : d'abord à l'endroit où se trouve l'église actuelle (saint Donat le Bas), ensuite dans un endroit encore plus reculé, une grotte (spelunca) situé sur une colline voisine où après avoir vécu quelques années avec un compagnon et disciple, Florentinus, il y serait mort. Dans ces derniers jours, il sera assisté par une autre figure de Haute Provence : St Mary. Il était lui aussi originaire d'Orléans (ville de tant de saints !).

Son culte est très présent à Forcalquier. La première cathédrale portait son nom et son corps y fut transféré.

Nous savons qu'au Moyen âge, les reliques voyageaient par crainte de les voir tomber aux mains des Sarrazins et c'était une préoccupation qu'avaient les chrétiens de l'époque (et de l'antiquité) de vivre plus près de Jésus et de préserver leurs souvenirs (d'où la pratique du morcellement des reliques). C'est donc sous le règne de Boson, roi de Provence, que les reliques de St Donat furent abritées à Sisteron puis à Grenoble. Et c'est Corbus, évêque de cette ville qui se réfugia dans la ville de Jovinzieu, apportant les restes de note ermite Lurois. Un palais et une église furent alors construits et dédiés à St Donat. La ville prit alors le nom de St Donat sur l'Herbasse (26).

3 – Un ensemble cultuel complexe

Après la disparition de Donat, on peut penser que son compagnon, Florentinus, et St Mary continuèrent les louanges de sa vie pieuse et perpétuèrent son souvenir. Mais la première trace tangible se trouve dans un texte écrit qui fait état de la donation du lieu par le comte de Provence Guillaume II (en 1018) à l'abbaye St André de Villeneuve les Avignon. Il est donc probable que l'église ait été construite vers cette période. Le texte utilise le terme de « locus ». Nous l'avons déjà trouvé sur la pierre écrite près de Sisteron pour désigner « Théopolis », un lieu d'ascèse et de recueillement crée par Dardanus , préfet des Gaules. Mais ici, ce « locus » établi sur l'habitat de St Donat, va constituer un ensemble architectural complexe et plutôt exceptionnel. C'est à Guy Barruol et J. Thirion que l'on doit l'étude détaillée de ce lieu. Retenons que le site est disposé sur deux niveaux, correspondant aux habitats successifs de Donat.

-Dans le Val, nous avons déjà rencontré la masse de l'église de St Donat le Bas. Juste en dessous, en surplomb d'un roc, se trouve les vestiges d'une église plus modeste avec des caractéristiques de construction à l'identique.

-De l'autre coté du Val, sur une crête (lieu dit couvent des Crottes) se trouve la grotte qui aurait été le refuge de Donat. Il y apparaît, envahi de végétation, les restes d'une petite église à trois nefs avec trois absides à demi-souterraine. Ce sont les restes de l'église de St Donat le Haut. On le voit, le site, dans son ensemble, s'est constitué en lieu de culte. On comprend que pour des raisons sans doute pratiques d'accessibilité, le pèlerinage se soit focalisé sur l'église de St Dona le Bas qui, elle, nous est parvenu dans toute sa splendeur.

4 – L'église de Saint Donat le Bas

- Monument extérieur

     

La première vision se l'église vue de l'extérieur, c'est l'émergence d'un édifice qui se présente dans sa simplicité et son austérité. L'ampleur et la hauteur de sa masse tout comme la puissance des volumes et l'utilisation de simples moellons rustiques pourraient n'en faire qu'un coffre rigide, une grange comme la tour de Porchères , par exemple. Mais nous sommes bien devant une église avec une abside et deux absidioles sur un plan semi-ciculaire. Et cette église présente un intérêt remarquable, son aspect un peu archaïsant ne nous a pas trompé. Nous sommes en présence d'une des plus anciennes églises de Haute Provence (et de Provence), un témoin architectural du premier âge du roman provençal mais aussi de l'art roman alpin. En effet de nombreux maçons et carriers venant de Ligurie, du Piémont ou de Lombardie ont travaillé ici. Le mur nord recevant le Mistral n'est percé d'aucune ouverture sans non plus de contreforts.

Au sud, par contre, on découvre cinq baies étroites ébrasées vers l'intérieur (l'une d'elle est, aujourd'hui, rattrapée par le lierre). Cette élévation est percée de nombreux trous de boulins laissés par les échafaudages. Les pierres sont celles du pays, surtout du calcaire et du grès. Au dessus de l'entrée principale le tympan est maçonné et dispose en hauteur d'une baie géminée lovée sous un arc de décharge. Les bras du transept sont peu saillants. Laissons une analyse architecturale plus poussée aux spécialistes Il faut retenir la simplicité des édifices religieux qui se caractérisent par l'équilibre de leurs masses et de leurs proportions. L'architecture met en avant la pierre avec laquelle il s'établit une liaison intime.

Nous sommes dans un monde rupestre qui prolonge le choix des premiers chrétiens de simples grottes jusqu'aux monuments qui naîtrons (exemple Carluc ). Marque d'architecture mais surtout marque de civilisation.

- Monument intérieur

Si l'extérieur du monument répond aux canons des édifices romans, l'intérieur est d'une architecture beaucoup plus originale. En effet, on trouve en plus de la grande nef ce qu'on peut appeler deux nefs latérales ou plus exactement des mini-collatéraux, larges de 1,50 mètres (alors que la plupart des églises romanes ont une seule nef). On peut penser que ces collatéraux servirent de déambulatoire pour les fidèles ou pour les pèlerins. D'ailleurs tout au long du mur se trouve un banc de pierre permettant stationnement et repos. Cela attire notre attention sur l'importance que revêtent les pèlerinages.

Déjà à Lure, on connaît depuis l'antiquité le Chastelard de Lardiers qui recelait de nombreux objets votifs, notamment des lampes à huile. Ici à St Donat Val (ou St Donat de Montfort ou St Donat de Lure) tout montre que le lieu a attiré de nombreux pèlerins : le site est un ensemble monumental complexe avec la tombe de St Donat et des aménagements qui facilitent le culte. Mais revenons à l'architecture intérieure. La nef principale est séparée des collatéraux par de grandes arcades qui viennent tomber sur des piliers circulaires, hauts de 6 mètre . Ces piles nues et arrondies, sans ornementation, sont au nombre de huit. Ce parti pris particulier apporte une élévation originale (hauteur de la nef 12 mètres ), tout comme dépouillement et grandeur. Soulignons encore que le transept de très faible dimension a deux bras presque carrés. Le sol est couvert de grandes dalles de pierres brutes dans le sens d'une pente qui se relève nettement vers le chœur. Notons que pas loin d'ici, toujours en Haute Provence, à coté du cimetière de Volonne se trouve une église sans toit qui présente un ordonnancement général analogue notamment par la présence intérieure de piliers cylindriques.

5 – L'architecture de la foi

La Camargue a été la porte d'entrée du christianisme en Provence. C'est Marie-Jacobé et Marie-Salomé, les saintes Maries qui jouèrent ici un rôle apostolique. Mais on peut penser que si cet enseignement fut précoce, les progrès furent lents, surtout dans nos Basses Alpes montagneuses. C'est sans doute la Via Domitia qui, comme pour les armes et le commerce, a joué le rôle d'axe de pénétration dans nos régions. Puis pendant les siècles chaotiques de notre histoire des personnages (comme Donat) devinrent en créant de petits centres d'ascèse un maillon indispensable vers la renaissance de l'église. En souvenir de ces pieux personnages apparurent des lieux de pèlerinage qui vont être à l'origine d'un art chrétien méditerranéen. Il a parfois été dit que Rome est la seule ville au monde à avoir été construite sur une idée abstraite : la gloire de Dieu. Des génies comme Michel Ange ou Le Bernin y sont pour beaucoup. Mais ici, dans la solitude d'un vallon bas-alpin, l'essence de la création n'est elle pas la même ? Les maîtres d'œuvre des chapelles et des églises ont crée avec la pierre des collines des lieux de prière et de recueillement. De la taille à l'assemblage et de l'élévation aux volumes, tout semble imprégner d'un désir de sacré. N'en doutons pas : le bâtisseur du Moyen âge réalise un acte de foi.

 

Bibliographie  : H. P. Eydoux « Monuments méconnus », L. A. P.,1980.

Guy Barruol « Provence Romane » tome 2, Zodiaque, 1981.

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