JEAN CAIRE, peintre de l'Ubaye

Depuis les premiers ermites qui se réfugièrent dans des coins retirés de Haute Provence et furent,  par leur exemple, comme des chainons de diffusion  de la foi et de la culture annonçant la véritable renaissance du Moyen-âge ; de nombreuses personnalités vont marquer l'histoire du département.
Mais, jusqu'au XIX ème siècle, il s'agit davantage d'hommes de sciences, de savants et d'érudits que d'artistes proprement dits.
Il faut dire que le contexte ne s'y prêtait guère.
Le département est un département rural ou la préoccupation des habitants est avant tout de s'assurer des ressources vitales ; ce qui laisse peu de place à la culture.
Et pourtant c'est en plein milieu de l'amas des montagnes, dans la vallée sévère de l'Ubaye, qu'un peintre va vouloir traduire avec quelques grammes de couleur, toute la réalité de son environnement.
Il s'agit de Jean Caire.
Mais à coté de sa veine artistique, il va aussi développer tout un intérêt politique pour l’Ubaye, en voulant pousser sa vallée dans les voies de la modernité économique.

1- Le Peintre

a-Un choix pictural

En 1989, une exposition est présentée à la Vieille Charité, à Marseille. Elle est intitulée  "Les jolis paysans peints " et son catalogue présente en couverture une
œuvre qui vient du musée de la Vallée, à Barcelonnette, "la moisson aux sanières", exécutée en 1890 par Marie Caire ; l'épouse de jean Caire.
Ce qui est représenté c'est une famille paysanne laborieuse en plein travail des champs .Une jeune mère, faucille et gerbe à la main couve d'un regard tendre son nourrisson dans le berceau. Le père et le fils continuent les travaux de moisson !
Le sujet est donc une famille paysanne idéalisée représenté dans un cadre bucolique.
Rien de tel pour Jean Caire.
Il va présenter uniquement des paysages, dépourvus de toute représentation de paysans. Si les champs sont bien moissonnés, les meules réalisées, les acteurs
ne sont pas là !
Ce parti-pris de mettre en représentation son cadre de vie ubayen, avec la nature comme seule inspiratrice est l'élément le plus caractéristique de son art.
C'est le plus souvent et le plus simplement, autour de chez lui, à partir du hameau des Davis, qu'il va peindre " meules devant les Séloanes" ou " le village des Davis".....
Il manifeste ainsi son enracinement et sa connaissance de la vallée de l'Ubaye qu'il veut représenter telle qu'elle dans sa vérité et sa réalité.
Il est alors facile de parler de peinture naturaliste où Courbet et Millet ont ouvert la voie.
--- Les gerbiers, Musée de Barcelonnette.

b-Un choix provençal

Les peintres provençaux ont trouvé dans le paysage leur spécificité.
Mais si certains réalisent des mises en scène pastorales, d'autres vont à la recherche directe du paysage.
Dans les basses alpes, l'impulsion avait été donnée par J.A Constantin. Allant sur le motif, il veut ressentir directement les émotions de la nature. Au contact des rudes sites de notre département il se dégage ainsi de l'influence académique pour traduire une émotion de contact résultant d'une observation de son environnement.
D'autres plénairistes suivront, de Granet à Etienne Martin, jusqu’à Cézanne.
C'est donc bien dans cette lignée qu'on peut situer l'œuvre de Jean Caire.
Le journal de Barcelonnette du 28 Avril 1935 est clair : l'artiste ne cesse de parcourir l'Ubaye "porteur de son attirail de peintre à la recherche de beaux sites".
Nous avons vu que paysan lui même, il n'a pas représenté de paysans sur ses toiles.
De même, grand marcheur de montagne, il ne représentera pas la haute montagne et les glaciers.
Fixé sur la restitution des paysages proches de son cadre de vie, il va notamment rechercher la lumière avec beaucoup de finesse.
A cet égard, le tableau intitulé "Meules devant les Séolanes" développe ces effets depuis les meules du premier plan posés sur un champ doré après la coupe
jusqu'à la courbe de l'Ubaye qui mène à la chaine bleutée des montagnes déjà blanchies par le soleil. Une horizontale de peupliers verts relie les deux espaces.
Jean Caire, peintre paysagiste, est alors bien l'interprète sincère de son territoire natal ; celui des alpes de lumière....
Cette recherche de lumière se poursuivra d'ailleurs en dehors des basses alpes, dans des scènes au bord de la méditerranée ou en Orient, avec cette même démarche de recherche de la vérité.

c-Un choix artistique

Jean Caire est né à Jausiers en 1855, dans une famille aisée. Les historiens des émigrants de l'Ubaye aux Mexique soulignent sa parenté avec Jean-Baptiste Caire, le premier ubayen revenu du Mexique, après avoir fait fortune.
Ce n'est pourtant pas vers les Amériques que va se diriger Jean Caire. Il rejoindra Lyon qui compte une importante communauté bas-alpine gérant l'industrie de la soie...
Il y passera ainsi sept ans, débutant des études de peinture auprès du peintre Louis Guy.
Il exposera ainsi deux fois à des salons des toiles représentant déjà des paysages de l'Ubaye !!
Il rencontrera aussi la femme de sa vie, artiste peintre comme lui, Marie Tonoir.
Suivra ensuite une période de dix ans à Paris, à l'Académie Jullian. Il exposera plusieurs fois au Salon des Artistes Français  de 1885 à 1897.
Mais l'appel du pays sera le plus fort et il s'installera aux Davis, en 1899, avec son épouse.
Ils habitent une belle demeure ou se succèdent de nombreux visiteurs.
Tous ces contacts le feront peu à peu négliger son activité picturale pour essayer d'influer sur la vie de la vallée et de ses habitants.

2-Le militant visionnaire

Si il est naturel que l'amour pousse à vouloir assurer l'avenir des personnes chères, on crée aussi des émotions et des amitiés avec un lieu aimé, ce qui mène souvent à vouloir le pérenniser pour les générations futures.
C'est exactement l'état d'esprit de Jean Caire qui va sans cesse être à la recherche d'actions destinées à la fois à renforcer et à moderniser l'agriculture, mais aussi à trouver des solutions d'avenir comme le tourisme.

a-Le soutien à l'agriculture

Les parents de J.Caire étaient tous deux rentiers et il n'eut lui-même aucun souci financier.
Et pourtant il se sent paysan dans l'âme et va s'impliquer dans toute une série d'actions destinées à améliorer l’agriculture.
Citons quelques exemples (dont nous laisserons le développement à des spécialistes), soulignant simplement qu'il pensait que l'agriculture était une véritable science :
_technique des câbles à foin porteurs pour continuer les récoltes des pairies hautes
_création d'un syndicat pour l'amélioration de la race ovine et son débouché l'exploitation de viande
_développement de la culture des arbres (notamment des pommiers)
Cette idée (ou plutôt cette passion) rapproche le peintre de deux grands noms des basses -alpes :
_de Pierre Gassendi qui écrivait " De la vallée de la Bléone viennent ces poires, ces pommes, ces cerises tous ces fruits délicieux...».Jean Caire, lui aussi,
met en vedette la pomme de sa vallée  "de qualité supérieure à tous les fruits similaires récoltés dans les autres régions... "
Chacun défend sa vallée avec la même passion !!!
_de Jean Giono dont le chef d'œuvre " L'homme qui plantait des arbres " est devenu universel.
Jean Caire, poussé par la passion des arbres écrit  (9 nov. 1902) "J’avais une vingtaine d'années lorsque je créais ce joli bois de pins d'Autriche.....depuis
cette époque je n'ai cessé de planter dans ce pays si aride et si dénué "
Jean Caire, dans ses propos, n'est pas loin d'Elzéard Bouffier et il mérite d'être appelé le peintre qui aimait et plantait des arbres !
Ajoutons une notion relative à la peinture : comme Ravaisou à Aix ou Grésy en Provence, il va trouver dans l'arbre une représentation peinte qui le passionne.
---Les Marronniers, Musée de Lyon.

b-Les projets d'avenir

Les actions de Jean Caire pour développer la vallée de l'Ubaye vont être multiformes, mais toutes sous-tendues par une même idée : favoriser le développement du tourisme.
Il va alors être  le fondateur d'un syndicat d'initiative destiné à faire connaitre les attraits de la vallée ; notamment par l'édition d'un guide illustré (par certaines de ces photos,
Autre penchant artistique du personnage).
Il faudra ensuite désenclaver la vallée par l'achèvement de la RN 205.
Et si, aujourd'hui, la notion de sport d'hiver  nous parait banale, c’est bien Jean Caire qui va vouloir créer  ce type de tourisme qui prolonge la saison d’été.
Toute cette volonté concerne alors aussi bien l'image de la région que ses infrastructures.
A 73 ans, Jean Caire était toujours président du Syndicat d'initiative et portait les mêmes idées militantes.
On ne peut, sans doute, faire une étude des évolutions de l'Ubaye sans tomber, peu ou prou, sur une de ses initiatives ou une de ses actions.
Toute cette œuvre d’action, à peine abordée, mériterait une présentation plus étoffée.

 3-Une philosophie de vie

On peut remarquer que l'œuvre du peintre, comme celle de l'homme de combat politique, repose sur une même notion : celle de l'amour d'une terre qui donne à l’être humain toute la mesure de ses racines.
Il s'établit alors, peut être, une sorte de Noces avec l’endroit.
C'est ce qu'écrit Camus : " Sentir ses liens avec une terre ....savoir qu'il est toujours un lien ou le cœur trouvera son accord, voici déjà beaucoup de certitudes
Pour une seule vie d’homme.»

 

Bibliographie: L'œuvre militante du peintre ubayen Jean Caire
Sté scientifique et littéraire des Alpes de Haute Provence
Sabence de la Valeia, Barcelonnette, 2007

Robert Sausse

                                                                                                                                                                                       

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